La journée avait mal commencé. Comme tous les matins, tu tentais de laisser quelques notes s'échapper de tes lèvres, sans succès. Tu restais douloureusement muet, croassant avec toutes les peines du monde, sous le regard intrigué et peiné de ton Couaneton, qui laisse un petit bruit lui échapper, comme pour te soutenir.
Et puis des problèmes, des contretemps, des accidents en pagaille. L'un des vôtres s'est blessé pendant son entraînement, sauf que vous assuriez une représentation chaque soir et il allait falloir lui trouver un remplaçant, mais tu ne savais pas qui désigner, et puis il fallait soigner cette vilaine blessure, et puis,
Parfois, quand tous les regards se posent sur toi, pleins de questions et d'attentes, tu te retrouves démuni.
Tu n'apprécies pas du tout les responsabilités. Toi, tu voudrais simplement continuer à chanter, à te plier au-delà des limites humaines, te balancer d'un trapèze à l'autre sous les projecteurs, mais tu es aussi le trésorier, le médiateur, l'entraîneur, parfois même le costumier ou le coiffeur de ces créatures qui finalement, sont tes enfants. Tu ne peux pas les laisser tomber, alors tu te pinces l'arête du nez, tu fermes les yeux et tu avises.
Quand sonne quinze heures, tu es encore en train de coiffer Amaïa. Ses cheveux poussent à une vitesse déconcertante, et si la longueur en elle-même est gérable avec des tresses de plus en plus alambiquées, tu tiens à ce que sa frange reste hors de ses yeux. Dans un moment complice, tu chasses les petits cheveux de son visage et termines d'arranger sa coiffure en silence, quand tu te rends compte de l'heure.
Obligé de l'abandonner un peu trop rapidement à ton goût, tu détales avec un calme feint jusqu'au semblant d'entrepôt où l'homme que tu as engagé t'attend.
Tu ne peux pas t'excuser à voix haute de ton retard, mais tu t'inclines et le gracies d'un sourire en l'approchant, avant de désigner ta gorge et de faire un trait devant toi en pinçant deux doigts pour lui signifier que tu es muet, avant de désigner plusieurs épaisses caisses en bois, quelques paniers en osier qui pèsent bien plus lourds qu'il n'y paraît.
Alors qu'il se met au travail, tu viens l'aider. C'est rare que tu ressentes le besoin d'engager des mains extérieures à celles du cirque, mais il fallait dire que vous étiez débordés. C'était ton choix de faire une représentation tous les soirs, et tu ne regrettes pas, mais tu aurais dû passer plus de temps à organiser les détails. Bah, soit.
Dans votre dos, ton Couaneton observe le Goupix de l'homme, les yeux pleins de malice. Si tu l'avais vu, tu lui aurais indiquer de ne pas pincer l'autre pokémon s'il ne voulait pas finir en bouillon, mais tu es déjà bien occupé.